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Pour un entrechoquement des mondes

« Les échanges, de toute manière, étaient très difficiles au niveau de la discussion : les gens qui ne sont pas du même milieu n’ont jamais rien à se dire : ils ne peuvent que faire des choses ensemble. C’est pourquoi les seuls rapports positifs qui se sont établis entre étudiants et ouvriers, pendant le mois de mai, l’ont été dans les «comités d’action révolutionnaire » qui se sont créés un peu partout. Ces comités ne se donnaient pas pour tâche de discuter mais d’agir. Ils se sont mis à la disposition des travailleurs en grève leur procurant ce dont ils avaient besoin, de la nourriture, par exemple, et participant aussi aux « piquets de grève » qui gardaient la porte des usines. Et c’est là, parce qu’il y avait d’abord une action commune, que des discussions ont pu s’établir ensuite. » Sartre – Situation 8 – La France (à propos de Mai 68)

Ami.e.s

D’où tu parles camarade ?

Nous sommes toujours localisés. Nous parlons toujours de quelque part. Prétendre à une universalité creuse doublée d’une objectivité surplombante, nous a toujours semblé l’apanage des dominants : ce n’est pas notre partie. Notre monde est donc toujours localisé et différent des autres mondes.

Nos mondes ont des frontières poreuses

De quoi est fait notre monde ? De ce qui nous lie, de ce que nous partageons, de nos récits et de nos actions. La manière de faire monde tient à nos vies individuelles mais surtout à nos vécus collectifs, tous deux formés par les structures qui les conditionnent. Nos mondes sont bordés, finis et limité mais jamais fixés pour toujours. Le jeu des mondes, leur entrechoquement fait le chatoiement de nos mondes, le caractère bigarrée et en perpétuel devenir de nos existences. Ce que nous disons c’est que, bien que nos mondes aient des frontières, celles-ci sont toujours mouvantes, poreuses, jamais irrémédiablement définies et déterminées. Nous laissons aux dogmatiques les barbelés, les gardes-frontières et leur contrôle des laisser-passer de pureté. Un monde imperméable nous apparait déjà un monde recroquevillé sur lui-même, telles ces statuts de marbres, inanimés, qui brillent encore pendant un temps, et qui, depuis longtemps ne nous impressionnent plus.

Ta méfiance des autres mondes est bien normale.

Notre méfiance des autres mondes est bien normale. Elle est le signe de ce qui tient notre monde. Se méfier des gilets-jaunes par leurs revendications parfois raciste, semblables à celles des gardes boutiques (baisse des taxes) n’est que le signe de ce qui nous lie. Pourtant, cela dit également que nous considérons les gilets-jaunes comme un monde-autre, une terra incognita. Rien ne sert de rappeler que ces représentations de l’autre-monde sont sans doute inexactes voire fausses, que les images-BFM qui nous proviennent ne sont certainement pas des images neutres, et que nous interprétons toujours à l’aune des valeurs de notre monde. Cela n’est pas le plus important. L’erreur, pour nous, serait d’essentialiser ce monde, de le fixer une fois pour toute, et de ne voir que ce que nous savons rapidement étiqueter comme ennemis. Il y a beaucoup plus à voir dans ce monde-gilets-jaunes, leur mode d’action d’abord (le blocage), leur insaisissabilité ensuite (pas de représentation, une sorte de surgissement spontané), et leur puissance enfin (comme l’attestent les réactions du pouvoir).

La convergence des luttes nous a toujours semblé une absurdité. C’est croire que, par intérêt, les mondes vont s’unir pour un objectif commun. Plutôt que parler de mariage arrangée des mondes, avec signature de contrat, lune de miel et divorce, nous disons, c’est au contraire par la superposition des mondes, avec leur antagonisme, que se crée des espaces inter-mondes partagés. Cette superposition se fait uniquement par l’action et non par des objectifs communs. Nous préférons faire l’amour ou faire la guerre ensemble avant de parler de mariage, de dote et de programme pour l’avenir.

Signé X